Dans le nouveau jeu qu’il avait créé, ses qualités se transformèrent rapidement en défauts — son impertinence devint ignorance, son audace témérité, son aplomb froideur — et c’est pourquoi, en très peu de temps, Suárez ne fut plus le politicien brillant et déterminé qu’il avait été pendant ses premières années de gouvernement — quand tout son esprit semblait en lien avec tout, comme s’il gardait en lui un aimant capable d’attirer et d’ordonner les fragments les plus insignifiants de la réalité afin d’agir sur elle sans crainte, puisqu’il avait à tout moment la certitude de connaître le résultat le plus insignifiant de chaque action et la cause la plus intime de chaque effet — mais un politicien maladroit, opaque et hésitant, égaré dans une réalité qu’il ne comprenait pas et incapable de gérer une crise que son mauvais gouvernement ne faisait que creuser.
Javier Cercas, Anatomie d’un instant, Actes Sud, 2010.